mercredi, 04 juin 2025 07:23

La prison: un hôpital de campagne. Témoignage sur le ministère à la prison de Poggioreale (Naples)

Le card. Martini salue les détenus à la prison S. Vittore, Milan

 

Lorsqu'une amie bénévole m'a invité à écrire quelque chose pour Città Nuova sur mon expérience dans le milieu carcéral, j'avais déjà lu quelques articles récents dans la revue. Dans l'un d'eux, j'ai lu la réponse qu'Aurora Nicosia a reçue par e-mail d'une de ses amies, qui joue un rôle de premier plan dans le domaine de la justice, et qu'elle avait invitée à écrire sur le sujet. En résumé, elle avait répondu: «Je n'en ai pas envie, car la période est très difficile, et l'avenir est sombre». Je me suis senti en accord avec ces paroles parce qu'à l'exception de quelques établissements pénitentiaires qui fonctionnent vraiment mais que l'on peut compter sur les doigts d'une main, le tableau général est dramatique. Si nous entrons ensuite dans les détails, c'est encore pire: je me réfère à Poggioreale, où j'exerce mon service en tant qu'aumônier.

De fait, comme disait Voltaire: «Le degré de civilisation d'un pays se mesure en observant l'état de ses prisons», il est clair que, en amont de tout, le principal problème est culturel! En tant que société, nous ne sommes pas capables d'avancer spirituellement (ce n'est pas synonyme d'ecclésial !) dans la conception de la justice autrement que rétributive, afflictive. Du moins en Italie, parce que dans certains pays d'Europe du Nord, il y a vraiment une approche qui « en vaut la peine », pour faire un jeu de mots, qui éduque et resocialise.

Oui, c'est une question purement culturelle, mais on peut dire, par analogie, spirituelle. C'est-à-dire que nous ne sommes pas encore capables d'assumer les attitudes spirituelles nécessaires pour gérer les conquêtes que l'histoire, la science, les sciences humaines et le droit ont mises en évidence comme propres à l'être humain. L'art. 27 de notre Charte Constitutionnelle en est un bon exemple lorsqu'il affirme que les peines, aussi nécessaires soient-elles, «ne peuvent consister en un traitement contraire au sens de l'humanité et doivent tendre à la rééducation». Mais il est resté sur le papier, comme malheureusement - malgré tous les efforts - la plupart des droits de l'homme.

Cependant, je me rends compte que je glisse dans des analyses qui, malgré leur importance, ne sont pas vraiment de ma compétence et m'emmèneraient loin, au risque de ne pas répondre à la question de savoir pourquoi j'ai décidé d'accepter la proposition d'écrire quelque chose. Parce que la prison existe! Parce qu'à l'intérieur, il y a des sœurs et des frères blessés comme nous tous! Parce que j'aurais pu y être moi aussi!

Ainsi, deux images, parmi les nombreuses qui circulent sur la prison, m'accompagnent dans mon voyage avec eux.

L'une d'entre elles est peut-être l'une des plus citées et des plus heureuses du pape François en référence à la mission de l'Église, mais qui convient parfaitement, à mon avis, aussi à la prison: «hôpital de campagne».

Une image qui parle d'elle-même. Combien de batailles se déroulent non pas on ne sait où, mais dans nos villes, dans nos rues, dans nos environnements, même ecclésiaux! Oui, «en prison», il y a des sœurs et des frères qui viennent aussi de nos paroisses, ce que nous continuons à appeler «communauté»! Pour cette raison, je sens qu' «ils/elles» m'appartiennent et pas seulement parce que la foi en Dieu et en l'Évangile de Jésus m'appellent à les ressentir comme mes frères et sœurs, mais aussi parce que directement ou indirectement, volontairement ou non, pour ma part j'ai moi aussi contribué à cette société impitoyable en créant d'innombrables illusions qui provoquent inévitablement des rejets, des blessures dans le corps et surtout dans l'âme! Des blessés, aux plaies encore ouvertes, voilà ce que sont les nombreux frères que je rencontre dans ce grand hôpital de campagne qu'est Poggioreale.

Que fait-on dans un hôpital de campagne? Ici, je souhaite reprendre une autre image qui me guide. Je l'emprunte à Henri Nouwen, qui a écrit il y a de nombreuses années un beau livre intitulé: «Le guérisseur blessé». Nous n'avons pas tous les moyens dont nous aurions besoin dans un hôpital civil, et encore moins dans un hôpital de campagne comme la prison aujourd'hui!

Du moins, on essaie d'apaiser, mais avec un médicament tellement essentiel qu'aucun médecin ou intelligence artificielle ne peut remplacer: une présence et pas n'importe laquelle!

Je me le répète souvent, surtout quand le découragement se fait sentir et que je cherche un soutien dans la prière avec le Maître. Je suis convaincu que l’on pouvait entendre Jésus à des kilomètres de distance! Parce qu'il était une Présence en contact profond avec la Vie (Dieu) et avec lui-même; il suscitait la confiance, il réveillait les énergies endormies et pour cette raison, là où il était accueilli, il guérissait souvent. Ce n'est pas une coïncidence s'il ne s'est jamais attribué la guérison, mais qu'il disait: «Ta foi t'a sauvé» (Mc 10, 52).

La prison, un hôpital de campagne, m’interroge tous les jours: «Quelle présence suis-je?». Suis-je là pour eux ou avec eux? Car eux aussi, comme chacun d'entre nous, sentent si je suis là avec eux, conscients de ma fragilité mais concentré, ou arrogant de ma foi présumée et superficielle. Si je suis là pour faire mon métier, ou bien si je suis assoiffé d'humanité.

Et oui ! il arrive qu’au cours de nombreuses conversations, une relation fraternelle de partage profond de la vie s'instaure. Et que des lueurs de l'Esprit s'ouvrent et nous permettent de voir combien il y a, en chacun d’eux, le désir d'écouter la beauté qui souvent est restée enfouie depuis trop longtemps. J'ai l'impression que si je maintiens cette « posture » (comme on dit aujourd'hui), je peux souvent arriver à toucher des points névralgiques du cœur. Non seulement pour les aider à résister «en prison» mais, paradoxalement, pour grandir au niveau humain, existentiel et, pourquoi pas, aussi dans la foi.

C’est ainsi que, une fois que nous avons atteint une certaine harmonie et empathie, nous nous regardons volontiers dans les yeux, parfois brillants, et nous nous demandons: «Qu'est-ce qui est essentiel, maintenant que je suis en prison?». Et on arrive à comprendre que la vie nous place, comme toujours, devant un choix à faire: «tentation ou occasion». La tentation est la plus facile à suivre: tout jeter, gaspiller de l'énergie et du temps passivement, dans la colère, ce qui ne fait qu'augmenter le taux de violence à l’intérieur et à l’extérieur. Ou bien, l’occasion de grandir intérieurement et de devenir plus humain à partir de l'acceptation de la blessure, de la fragilité car «ce ne sont pas les faits qui comptent mais ce que nous devenons à travers les faits» (E. Hillesum). Même dans un hôpital de campagne comme la prison et en tant que guérisseurs blessés, nous pouvons aider la Vie à s'épanouir car «si ce ne sont pas des lys, ce sont quand même des enfants, victimes de ce monde» (F. De André).

 

Père Pierangelo Marchi, sss
Communauté de Caserta
Bulletin de la Province Notre-Dame du Saint-Sacrement
17 avril 2025 - N.16

Dernière modification le mercredi, 04 juin 2025 07:47