Manuel Barbiero, SSS.
Italie, 14/9/2022.
« Le christianisme est avant tout un don – a dit le Pape Benoît XVI –, Dieu se donne à nous, il ne donne pas quelque chose, mais il se donne lui-même. Et cela n’arrive pas seulement au début, au moment de notre conversion. Il reste en permanence celui qui donne. Il nous offre en permanence ses dons. Il nous précède en permanence. De ce fait l’acte central de l’être chrétien est l’Eucharistie : la gratitude d’avoir été gratifié, la joie pour la vie nouvelle qu’il nous donne »[1].
Cette citation du Pape Benoît XVI trace les lignes fondamentales de cette contribution. Toute notre existence humaine est placée sous le signe du don.
Dieu donne, c’est lui qui est à l’origine de tout don (« Les présents les meilleurs, les dons parfaits, proviennent tous d’en haut, ils descendent d’auprès du Père des lumières », Jc 1,17). Il se donne à nous surtout à travers son Fils, Jésus Christ. Tout dans la vie de Jésus Christ est expression du don du Père. Au sommet de sa vie, Jésus nous a offert le don de son Corps et de son Sang, le don de tout lui-même dans le sacrement de l’Eucharistie. Et il nous entraine, à sa suite, nous appelant à être don pour les autres, à offrir, nous aussi, tout de nous-mêmes, notre vie, pour les autres.
Jésus Christ : une vie marquée par le don
Jésus Christ est tout amour, il est tout don, a dit Saint Pierre-Julien Eymard[2] ; il est le don du Père à l’humanité ; il est le don en personne ; il n’est que « don ». « Sa présence sur la terre et ses liens avec les membres de l’Eglise s’expriment dans ce petit mot »[3].
Si on examine l’occurrence du verbe « donner » dans l’évangile de St Jean[4], on remarque qu’il est massivement employé en relation avec Jésus qui est présenté comme le « don » de Dieu par excellence ; mais aussi Jésus donne et reçoit des dons ; de plus, le Père est souvent impliqué dans cette relation.
Jésus Christ, dans son dialogue avec Nicodème, affirme qu’il est le don même de Dieu, il se définit comme un don en revendiquant son statut de don donné par le Père.
C’est le Père qui donne. Il est l’origine du don : « Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle » (Jn 3,16)[5].
Dans sa rencontre avec la femme de Samarie, Jésus se présente comme celui qui donne l’eau vive. Dieu n’est pas un Dieu qui demande, mais un Dieu qui donne. « Si tu savais le don de Dieu, dit le Seigneur à la Samaritaine, et qui est celui qui te dit : “Donne-moi à boire”, c’est toi qui lui aurais demandé, et il t’aurait donné de l’eau vive » (Jn 4,10).
Le don de Jésus, pour celui qui le reçoit, ne reste pas inactif, mais il met en mouvement une dynamique de don qui se répète sans cesse, à l’infini : « Celui qui boira de l’eau que moi je lui donnerai n’aura plus jamais soif ; et l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d’eau jaillissant pour la vie éternelle » (Jn 4,14)[6].
Après le récit de la multiplication des pains, dans le long discours de Jésus à Capharnaüm, il est question du don de la nourriture qui demeure jusque dans la vie éternelle. Jésus annonce le don du pain du ciel, le vrai pain, par rapport à la manne. Il s’agit d’un pain donné par Dieu, pain qui donne la vie[7].
Non seulement, il faut que le pain soit donné, mais il faut aussi que nous soyons donnés par le Père au Fils (cf. Jn 6,37.39.65). Le Père donne les hommes à son Fils (« Tous ceux que me donne le Père viendront jusqu’à moi », Jn 6,37), pour les sauver (« Or, telle est la volonté de Celui qui m’a envoyé : que je ne perde aucun de ceux qu’il m’a donnés, mais que je les ressuscite au dernier jour », Jn 6,39).
Le pain que Jésus donne c’est lui-même, c’est sa chair « donnée pour la vie du monde » (Jn 6,51)[8]. Il ne suffit donc pas de vouloir recevoir la vie que Christ donne ; il faut comprendre que le Christ n’est pas simplement l’intermédiaire entre Dieu et les hommes, mais qu’il est lui-même le contenu de ce don.
Le Christ, donc, n’est pas en marge de la foi. Il en est le contenu même et c’est pourquoi il faut manger ce pain donné par le Père : la chair du Fils de l’homme.
Dans le chapitre 10 de l’évangile de St Jean nous trouvons une forte insistance sur le don que Jésus fait de sa vie. Lui le bon pasteur, le vrai berger, « donne sa vie pour ses brebis » (Jn 10,11 et 15) ; il « leur donne la vie éternelle » (Jn 10,28).
Ce don de la vie est un acte que Jésus fait en toute liberté et en même temps en obéissance au commandement du Père, dans un échange d’amour entre lui et le Père. Jésus affirme : « Voici pourquoi le Père m’aime : parce que je donne ma vie, pour la recevoir de nouveau. Nul ne peut me l’enlever : je la donne de moi-même. J’ai le pouvoir de la donner, j’ai aussi le pouvoir de la recevoir de nouveau : voilà le commandement que j’ai reçu de mon Père » (Jn 10,17-18).
Le don que Jésus fait de lui-même, est total et devient l’expression du plus grand amour, qui est aussi le seul amour. Dans cette dynamique du don, Jésus s’expose à la possibilité d’être refusé ; et dans le chapitre 13 de l’évangile de St Jean cette possibilité devient une réalité dramatique.
Tout ce chapitre nous parle du don. Jésus est conscient que le Père « a tout remis (didomi / donner) entre ses mains », donc tout ce qu’il donne correspond au don que le Père lui a fait, c’est-à-dire : tout (cf. Jn 13,3).
Le don que Jésus fait est un don de plus en plus croissant. Nous avons, d’abord le don de l’exemple au moment du lavement des pieds : « C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous » (Jn 13,15). Puis nous avons le don de la bouchée à Judas : « Jésus lui répond : C’est celui à qui je donnerai la bouchée que je vais tremper dans le plat. Il trempe la bouchée, et la donne à Judas, fils de Simon l’Iscariote » (Jn 13,26). Finalement, nous avons le don du commandement nouveau, le don de l’amour mutuel : « Je vous donne un commandement nouveau : c’est de vous aimer les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres » (Jn 13,34).
Le lavement des pieds, dans l’optique de la trahison, le don de l’exemple, le don de la bouchée à Judas, qui agit comme un ennemi, aboutissent dans le don de l’amour, le don d’un commandement nouveau, qui implique une réciprocité (« les uns et les autres »), fondé (« comme ») sur la pratique et l’amour de Jésus à l’égard des siens. Tous ces dons ont pour but de rendre les disciples capables d’aimer comme Jésus, avec la même force, intensité et profondeur.
Le chapitre 17, de l’évangile de St Jean, contient une accumulation de dons[9].
Le Père a donné au Fils une œuvre à accomplir. Pour cela, il lui a donné tout pouvoir. Le Père a donné à son Fils « pouvoir sur tout être de chair » (Jn 17,2) ; il donnera aussi « la vie éternelle » (Jn 17,2).
Les disciples, mais aussi en général les hommes, sont le don du Père à son Fils (« tous ceux que tu lui as donnés », Jn 17,2.24 ; « J’ai manifesté ton nom aux hommes que tu as pris dans le monde pour me les donner », Jn 17,6).
Le Fils a reçu du Père le don du « nom » (Jn 17,11.12), de ses paroles (Jn 17,8.14) et de la gloire (Jn 17,22.24). A son tour il donne tous ces dons à ses disciples (« Maintenant, ils ont reconnu que tout ce que tu m’as donné vient de toi, car je leur ai donné les paroles que tu m’avais données : ils les ont reçues, ils ont vraiment reconnu que je suis sorti de toi, et ils ont cru que tu m’as envoyé », Jn 17,7-8).
Le Père donne des amis à son Fils et le Fils donne sa vie pour ceux qui lui sont donnés. L’acte de donner n’est pas anodin, secondaire ou anecdotique ; il est fondamentalement une création nouvelle ; donner, c’est créer un mode nouveau de relation.
En conclusion de ce chemin à travers l’évangile de St Jean, nous pouvons remarquer que le don est en relation avec plusieurs éléments : l’eau, le pain, la parole, la vie, l’amour, les hommes. Tout cela montre la force vitale du don que Jésus est pour toute l’humanité.
« La nuit où il était livré, le Seigneur Jésus prit du pain... »
Au sommet de sa vie, vécue dans le don total de lui-même, Jésus Christ nous donne l’Eucharistie[10]. Elle est comme un résumé de toute sa vie, la confirmation de tout ce qu’il a été, en d’autres mots, elle est comme « la signature du Christ »[11].
Pour comprendre le don que le Christ nous a fait, il faut rappeler le contexte de la dernière Cène.
St Paul, qui nous transmet en premier le récit de l’institution de l’Eucharistie, l’exprime d’une manière succincte mais claire : « La nuit où il était livré... » (1Co 11,23)[12]. Le contexte est sombre, chargé de menaces.
Cette nuit-là, Jésus, comme un objet, est livré par Judas aux Grand-prêtres. Ceux-ci vont le livrer à Pilate, Pilate à son tour le livre aux soldats, et finalement Jésus est livré à la mort sur la croix.
Jésus se retrouve isolé devant la mort ignominieuse qui se profile pour lui. L’arrestation, le procès, la condamnation, la mise à mort manifestent l’existence autour de lui et à cause de lui d’un inextricable réseau de violences : violence physique, violence politique et judiciaire, violence psychologique. Jésus a retourné cette situation inéluctable de violence et de mort. Il a fait de sa mort un acte de liberté : il est livré, mais en même temps il se livre, il est donné et en même temps il se donne[13].
Dans ce contexte le geste que Jésus invente prend un relief paradoxal, il est étonnant : il prend le pain, il rend grâce, il le rompt et il le donne. Il fait ainsi avec la coupe remplie de vin. Il fait le don total de sa vie, il nous manifeste l’amour du Père et sa manière d’agir. Par les paroles qu’il prononce, Jésus rend explicite le sens de sa mort pour ses disciples et pour le monde.
Jésus offre tout à Dieu pour le transformer en don, unique moyen de transformer le négatif et le mal. Dans un grand acte d’amour, Jésus transforme toute l’atrocité de la croix en don.
La force du don de Dieu prend la forme eucharistique du pain et du vin. L’Eucharistie est le lieu où le don que Jésus Christ a fait de lui-même continue à être réel et efficace pour toute l’humanité[14].
Lorsque Jésus dit : « Ceci est mon corps et je vous le donne », il transmet le don qu’il est : lui, son être, sa personne qui sont le don du Père. Jésus nous fait le don de son corps. Le corps est le moi, l’histoire, la vie. Ce que Jésus donne, c’est son humanité, avec ses possibilités et ses limites.
Le pain et la coupe du vin expriment le don total de Jésus, sa vie donnée pour nous. L’existence de Jésus a été une existence vécue pour l’homme. Tout au long de sa vie, il a vécu ce don. Dès l’incarnation jusqu’à la croix, Jésus est don, il vit le don de soi, il est le don d’amour du Père à l’humanité.
Quand Jésus se donne à nous, il ne pèse pas ce qu’il donne, il donne tout. Le don nous parle d’un amour sans mesure[15].
L’Eucharistie est l’anamnèse du don du Christ[16]. A travers les éléments du pain et du vin, l’Eucharistie nous rappelle que le don est fait en entier, sans repentir et sans retour. L’Eucharistie est le don de quelqu’un qui s’est engagé tout entier dans son geste, au point que les objets que Jésus offre, sont présentés comme son corps et son sang. C’est l’être de Jésus dans toute son épaisseur (désir, champ relationnel, mémoire, histoire, blessures). Jésus nous ouvre un chemin. Il se laisse réduire à l’infrahumain, là où tous les mouvements de refus de Dieu et de fermeture conduisent l’humanité ; mais, acceptant d’être ramené à cela, ce sont nos zones déjà abandonnées à la mort qu’il vient rappeler à la vie. Inscrits en lui, nous sommes accueillis dans sa Pâque, dans son sillage, et nous faisons le passage avec lui, qui est déjà du côté de la victoire. Des relations nouvelles sont rendues possibles. L’Eucharistie promeut une dynamique d’accueil de la vie comme un don par-delà nos propres fermetures, ainsi que la possibilité de répondre à ce don. Pour nous il est question d’être travaillés et de nous laisser travailler par la logique qui se déploie lorsque nous sommes véritablement présents à ce qui se donne dans la célébration de l’Eucharistie[17].
« L’amour qui le poussa à mourir pour nous – a écrit Guardini – c’est le même qui l’amena à se donner à nous comme aliment. Il ne se contenta pas de nous donner ses dons, ses paroles, ses conseils, mais il alla jusqu’à se donner lui-même. Il faudrait interroger une femme, une mère, une maitresse pour trouver quelqu’un capable de comprendre cette exigence de donner non point quelque chose, mais de se donner soi-même. Soi-même avec tout son être. Non seulement l’esprit, non seulement la fidélité, mais son corps et son âme, sa chair et son sang : tout. Sans doute, c’est l’amour ultime que de vouloir nourrir un autre avec ce qu’on est. Et le Seigneur se livra à la mort pour entrer, à travers sa résurrection, dans cet état dans lequel il voulait se donner à tous et en tout temps »[18].
L’Eucharistie est le don et le donateur
« Jésus, dans l’Eucharistie, donne non pas ‘quelque chose’ mais se donne lui-même ; il offre son corps et il verse son sang. De cette manière, il donne la totalité de son existence, révélant la source originaire de cet amour. Il est le Fils éternel donné pour nous par le Père » (SCa 7).
Jésus peut distribuer son Corps, parce qu’il se donne réellement lui-même. Dans l’Eucharistie le don a un aspect unique. « L’Eucharistie, plus que le don c’est le donateur », a écrit le père Eymard[19] ; en effet, « Le cœur, l’amour de Jésus ne se contente pas du don, il donne le donateur »[20]. Dans l’Eucharistie nous avons le don et le donateur. Le donateur vient à nous en don et le don est Celui même qui donne[21].
Le pain rompu et le vin versé, du sacrement eucharistique, laissent transparaître le donateur : le Christ ; qui à son tour, dans sa kénose, laisse apparaître le donateur premier (celui qui est à l’origine de tout) : le Père. C’est la caractéristique propre à Dieu. Dieu ne donne pas quelque chose, il se donne lui-même, il ne peut donner que l’Amour qu’il est. S’il se donne de différentes manières, celles-ci ne sont que des manifestations diverses d’un Amour qui, lui, est unique.
Dans l’Eucharistie le Christ se donne lui-même, tout entier.
« L’Église peut célébrer et adorer le mystère du Christ présent dans l’Eucharistie justement parce que le Christ lui-même s’est donné en premier à elle dans le Sacrifice de la croix. La possibilité, pour l’Église, de ‘faire’ l’Eucharistie est complètement enracinée dans l’offrande que le Christ lui a faite de lui-même. Nous découvrons ici aussi un aspect convaincant de la formule de saint Jean : ‘Il nous a aimés le premier’ (1Jn 4,19). Ainsi, dans chaque célébration, nous confessons nous aussi le primat du don du Christ. L’influence causale de l’Eucharistie à l’origine de l’Église révèle en définitive l’antériorité non seulement chronologique mais également ontologique du fait qu’il nous a aimés ‘le premier’. Il est pour l’éternité celui qui nous aime le premier » (SCa n. 14).
L’Eucharistie a toutes les qualités d’un vrai don.
Elle est un don gratuit, désintéressé, sincère, fait sans réserves, sans calculs[22] ; elle est un don concret et incarné[23] ; elle est un don total et éternel, don complet et perpétuel[24] ; elle est un don toujours disponible, auquel nous pouvons avoir accès ; elle est un don qui nous donne la vie[25] ; elle est un don qui s’offre comme nourriture, elle est un don mangeable, qui construit des relations[26].
Une vie vécue dans le don de soi-même
Le Concile Vatican II a affirmé le lien entre la personne humaine et sa réalisation à travers le don d’elle-même : « L’homme, seule créature sur terre que Dieu a voulue pour elle-même, ne peut pleinement se trouver que par le don désintéressé de lui-même » (GS 24)[27]. Cette affirmation montre de manière essentielle ce que signifie être homme : se donner totalement et gratuitement.
Le Pape Benoît XVI a écrit : « L’être humain est fait pour le don ; c’est le don qui exprime et réalise sa dimension de transcendance »[28].
Le don de soi est au sommet du chemin de maturation humaine et spirituelle de toute personne humaine. Un chemin qui a comme point d’arrivée une existence capable d’aimer avec et comme le Christ, jusqu’au don de la vie. « Il a donné sa vie pour nous » (1Jn 3,16), dit St Jean.
Suivre le Christ, l’aimer et l’imiter, c’est entrer dans la logique du don et du don qu’il a fait de lui-même. Le don de nous-mêmes oriente notre vie et il est le point de référence pour sa construction.
Il faut être conscient qu’une liberté nouvelle, pascale, s’accomplit dans le don quotidien de nous-mêmes[29]. C’est l’homme en tant que être libre qui se trouve en se donnant. La liberté est indispensable à l’homme pour qu’il puisse ‘se donner lui-même’, pour qu’il puisse devenir don pour les autres[30].
Jésus révèle, par sa vie même et non seulement par ses paroles, que la liberté s’accomplit dans l’amour, c’est-à-dire dans le don de soi. Lui qui dit : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime » (Jn 15,13) marche librement vers sa Passion et, dans son obéissance au Père, il livre sa vie sur la Croix pour tous les hommes (cf. Ph 2,6-11).
La contemplation de Jésus crucifié est donc la voie royale sur laquelle l’Eglise doit avancer chaque jour si elle veut comprendre tout le sens de la liberté : le don de soi dans le service de Dieu et de ses frères. Et la communion avec le Seigneur crucifié et ressuscité est la source intarissable à laquelle l’Eglise puise sans cesse pour vivre librement, se donner et servir[31].
L’Eucharistie nous fait rencontrer le Christ, nous met en contact direct avec son amour, et nous rend capables à notre tour d’aimer comme le Christ nous aime, jusqu’à l’extrême de la charité (cf. Jn 13,1). La grâce de l’Eucharistie a pour but de conduire le chrétien à la perfection de l’amour : au don de soi[32]. L’Eucharistie nous conduit à la pleine réalisation de nous-mêmes parce qu’elle nous fait entrer dans la logique du don et nous apprend à faire le don de nous-mêmes.
a) L’Eucharistie nous fascine, nous attire et nous fait entrer dans la logique du don
La célébration de l’Eucharistie nous met en contact direct avec la profondeur de l’amour de Jésus Christ et, à travers sa donation dans le pain et le vin, avec l’amour de la Trinité. Comme l’a dit le Pape Benoît XVI :
« Dans la liturgie resplendit le Mystère pascal par lequel le Christ lui-même nous attire à lui et nous appelle à la communion. (...) la vérité de l’amour de Dieu, manifesté dans le Christ, nous rejoint, nous fascine et nous emporte, nous faisant sortir de nous-mêmes et nous attirant ainsi vers notre vocation véritable : l’amour » (SCa 35).
Le Pape François, dans sa lettre apostolique Desiderio Desideravi (DD)[33], insiste sur la dimension de l’émerveillement. Il nous invite à nous laisser attirer, fasciner par le don du Christ dans son Eucharistie. Il a écrit : « La disproportion entre l’immensité du don et la petitesse du destinataire est infinie et ne peut manquer de nous surprendre » (DD n. 3).
A la dernière Cène, « personne n’avait gagné sa place à ce repas. Tout le monde a été invité. Ou plutôt : tous ont été attirés par le désir ardent que Jésus avait de manger cette Pâque avec eux » (DD n. 4).
Quand nous participons à l’Eucharistie, « nous sommes attirés par son désir pour nous. De notre côté, la réponse possible – qui est aussi l’ascèse la plus exigeante – est, comme toujours, celle de nous abandonner à son amour, de nous laisser attirer par lui » (DD n. 6).
L’attitude de l’émerveillement ne peut jamais venir à manquer. Malheureusement il peut arriver que nous échappions à la fascination de la beauté du don du Christ.
« Si notre émerveillement pour le mystère pascal rendu présent dans le caractère concret des signes sacramentels venait à manquer, nous risquerions vraiment d’être imperméables à l’océan de grâce qui inonde chaque célébration. (...) La rencontre avec Dieu n’est pas le fruit d’une recherche intérieure individuelle, mais un événement donné : nous pouvons rencontrer Dieu à travers le fait nouveau de l’Incarnation qui, dans la dernière Cène, va jusqu’à désirer être mangé par nous » (DD n. 24).
Quand nous devenons capables de nous émerveiller pour le don que Dieu nous a fait dans le Christ, notre existence reçoit
« un dynamisme nouveau qui nous engage à être témoins de son amour. Nous devenons témoins lorsque, par nos actions, nos paroles et nos comportements, un Autre transparaît et se communique. On peut dire que le témoignage est le moyen par lequel la vérité de l’amour de Dieu rejoint l’homme dans l’histoire, l’invitant à accueillir librement cette nouveauté radicale. (…) Le témoignage jusqu’au don de soi-même, jusqu’au martyre, a toujours été considéré dans l’histoire de l’Église comme le sommet du nouveau culte spirituel : ‘Offrez vos corps’ (Rm 12,1). Que l’on pense, par exemple, au récit du martyre de saint Polycarpe de Smyrne, disciple de saint Jean : tout le déroulement dramatique est décrit comme une liturgie, et même comme le fait que le martyr lui-même veuille devenir Eucharistie. Pensons aussi à la conscience eucharistique qu’exprime saint Ignace d’Antioche en vue de son martyre : il se considère comme ‘le froment de Dieu’ et il désire devenir dans le martyre le ‘pur pain du Christ’. Le chrétien qui offre sa vie dans le martyre entre dans la pleine communion avec la Pâque de Jésus Christ et devient ainsi lui-même Eucharistie avec Lui » (SCa n. 85).
C’est la célébration de l’Eucharistie qui nous fait entrer dans la logique du don qui structure toute vie humaine[34]. « L’Eucharistie ne nous donne pas un modèle de vie à imiter. Elle fait advenir en nous l’homme eucharistique. Parce qu’il s’agit de devenir ce que nous sommes déjà dans le Christ, la célébration de l’eucharistie devient essentielle à notre vie chrétienne car, en elle, s’expérimente notre identité profonde, définie par notre attitude à recevoir la vie même de Dieu, et à devenir vivant selon la seule modalité qui vaille, celle du don par amour »[35].
Le « Corps eucharistié » est d’abord corps donné, il en dérive que notre corps, nourri du Corps du Christ, doit aussi se donner[36]. Jésus nous fait signe « dans » le pain et le vin, et aussi « par » ce pain et ce vin. Le pain est le corps livré, le vin est le sang versé, la vie donnée. Dans l’Eucharistie le Christ est présent comme Celui qui donne son Corps et verse son Sang, dans sa Pâque, qui est le don de sa vie.
Par ce pain Jésus nous invite à ne faire qu’un avec lui, à entrer avec lui dans son intention la veille de sa Passion, la nuit où il fût livré, et à communier entre nous par notre participation à cette intention de donner sa vie.
L’Eucharistie nous invite à participer plus profondément au mystère pascal, à offrir toute notre vie au Père avec le Christ dans l’Esprit Saint.
b) L’Eucharistie nous apprend à faire de nous-mêmes un don pour les autres
La conscience qu’en Jésus Christ, Dieu lui-même s’est donné pour nous jusqu’à la mort, doit nous amener à ne plus vivre pour nous-mêmes, mais pour Lui et avec Lui pour les autres[37].
« Voici comment nous avons reconnu l’amour : lui, Jésus, a donné sa vie pour nous. Nous aussi, nous devons donner notre vie pour nos frères » (1Jn 3,16). Nous les chrétiens, nous avons reconnu l’amour de Jésus Christ pour nous à travers son existence, sa manière d’agir, de parler, d’entre en relation avec les personnes qu’il rencontrait, surtout parce que, dans le mystère pascal, il a donné sa vie pour nous. Notre amour jusqu’au don de la vie pour nos frères est enraciné sur l’exemple et la grâce de Jésus Christ.
Dans ce verset tiré de la première lettre de St Jean nous avons ces correspondances : « lui/nous », « il a donné/nous devons donner », « pour nous/pour nos frères ». Le Christ se donne à nous afin que nous aussi, unis à lui, nous nous donnions à nos frères[38]. Le don appelle au don, la totalité appelle à la totalité. « La vie est un don qui se reçoit en se donnant »[39].
Nous avons dit que le don de soi est au sommet du chemin de la maturation humaine et spirituelle ; donc, vivre selon l’Eucharistie est l’unique manière pour vivre et réaliser notre existence humaine[40].
Le « mémorial », constamment renouvelé et approfondi, du don de Dieu, fait jaillir la possibilité du don de soi comme la réponse la plus adéquate. Celui qui bénéficie du don est poussé à se risquer à son tour et à se donner.
L’Eucharistie est le sacrement qui mène à l’union, à la transformation dans le Christ, à l’inhabitation réciproque qui fait de toute la vie une vie eucharistique (cf. Jn 6,56-57).
L’Eucharistie célébrée rend présent celui qui doit être imité ; en elle est présent le Christ dans son offrande à Dieu et aux hommes, dans son attitude d’humilité, de service, de dévouement et d’amour. Le don de soi porte à appartenir totalement au Christ pour vivre selon son style de vie, à référer toute sa vie à Jésus-Christ pour être dans le monde comme lui.
« Pour progresser dans les vertus, a écrit St Pierre-Julien Eymard, le chrétien a besoin d’avoir toujours présent son modèle, une force toujours croissante, un amour qui le soutienne. Or, ce n’est que dans la très sainte Eucharistie qu’il trouve parfaitement ces trois biens ». Et il ajoute « Le chrétien apprend à se donner ainsi par la sainte Communion où Jésus se donne tout entier et personnellement à lui »[41].
Le Christ dans son Eucharistie nous apprend à dire « oui » à la croix ; il nous apprend que cette mort est une mort vécue dans l’amour et dans le don, et pour cela elle devient une mort porteuse de vie[42]. L’Eucharistie fait éclater nos égoïsmes et libère nos capacités d’amour, un amour plus fort que la mort (cf. Ct 8,6).
Devenu membre du Corps du Christ par le baptême, le chrétien, par l’Eucharistie, apprend à vivre la vie comme un don. Il vit selon la logique d’une vie eucharistique, c’est-à-dire la logique d’une vie donnée. Donner son temps, ses énergies. Faire des gestes de générosité, de service, parfois en silence. Donner signifie mourir à nous-mêmes et vivre uniquement pour les autres, jusqu’à donner notre vie[43]. Le but est de vivre une vie, de plus en plus identique à la vie de Jésus : vie donnée pour le monde [44].
« L’Eucharistie nous appelle à nous dessaisir de nous-mêmes, à nous donner. Pas d’Eucharistie authentiquement digne du Christ sans engagement au partage, au pardon et à la réconciliation. Le ‘sacrement du sacrifice’, qui vient actualiser en nous le don du Christ, révèle ainsi l’homme à lui-même : notre vocation ultime, celle qui résiste à tout ce qui peut nous détruire ou nous diviser, n’est pas de conquérir et de dominer, mais de nous recevoir et de nous donner, d’apprendre, jour après jour, à mener une existence eucharistique. Tout ce que nous vivons dans l’amour donné et reçu, même les blessures provoquées par la violence du monde, tout peut être récapitulé par le Christ de l’Eucharistie »[45].
Il s’agit alors, pour celui qui est devenu membre du Christ, Corps du Christ, de devenir « vie donnée », dans toutes les modalités, les formes et les expressions d’amour vécues par le Christ.
Le don de soi dit plus que le seul don. Il ne s’agit pas simplement de donner quelque chose, mais de se donner[46]. Dit dans un autre registre, il ne s’agit pas de donner ce que l’on a, mais ce que l’on est : « la vraie richesse, a dit le pape St Jean-Paul II, ne consiste pas dans le fait d’avoir quelque chose et de donner quelque chose, mais dans la capacité de se donner soi-même »[47].
« Nos communautés, quand elles célèbrent l’Eucharistie, doivent prendre toujours plus conscience que le sacrifice du Christ est pour tous, et que l’Eucharistie presse alors toute personne qui croit en Lui à se faire ‘pain rompu’ pour les autres et donc à s’engager pour un monde plus juste et plus fraternel. En pensant à la multiplication des pains et des poissons, nous devons reconnaître que le Christ, encore aujourd’hui, continue à exhorter ses disciples à s’engager personnellement : ‘Donnez-leur vous-mêmes à manger’ (Mt 14,16). La vocation de chacun de nous consiste véritablement à être, avec Jésus, pain rompu pour la vie du monde » (SCa n. 88).
Le Pape François a souligné la force de se donner aux autres, qui vient justement de l’Eucharistie :
« Que de mamans, que de papas, avec le pain quotidien, coupé sur la table de la maison, ont rompu leur cœur pour faire grandir leurs enfants, et les faire bien grandir ! Que de chrétiens, comme citoyens responsables, ont rompu leur propre vie pour défendre la dignité de tous, spécialement des plus pauvres, des exclus et des discriminés ! Où trouvent-ils la force pour faire tout cela ? Justement dans l’Eucharistie : dans la puissance d’amour du Seigneur ressuscité, qui aujourd’hui aussi rompt le pain pour nous et répète : Faites cela en mémoire de moi »[48].
« Face au mal, à la souffrance, au péché, l’unique réponse possible pour le disciple de Jésus est le don de soi, y compris de la vie, à imitation du Christ »[49].
Se donner, alors, signifie aussi accepter de se perdre, à travers un don généreux, dans un amour gratuit et oblatif[50]. Se donner sincèrement, c’est, s’offrir sans attendre aucune récompense, autrement dit, sans aucune condition, ni limite et pour toujours.
Se donner, c’est voir en l’autre un homme et s’engager à construire la famille humaine[51] ; le don de soi fonde aussi le pardon et le refus de la haine et des injustices[52].
Le don de soi ne trouve pas sa fin en lui-même mais dans la communion[53] ; en effet le don a pour fin la communion et l’amitié avec Dieu, et la communion avec les hommes.
Seule la communion concrétise ce désir, dans le don réciproque. Le modèle par excellence du don de soi est la vie intra-trinitaire, la communion entre les Personnes divines, où la donation et la réception sont totales sans pour autant introduire d’inégalité, ce qui constitue le plus profond mystère.
L’homme est fait pour le don, mais plus encore pour la communion. Si la communion est le point d’arrivée, la voie pour y arriver est le don sincère de soi-même ; c’est là que prend naissance le rapport de communion. « La communion a toujours et inséparablement une connotation verticale et horizontale : communion avec Dieu et communion avec nos frères et sœurs. Les deux dimensions se rencontrent mystérieusement dans le don eucharistique » (SCa n. 76)[54].
Conclusion
L’Eucharistie opère en nous une transformation très profonde. C’est la vie du Christ, une vie donnée, qui resplendi en nous. Le père Eymard a dit :
« Un cristal, mettez-le dans la nuit, c’est une pierre, mettez-le à une petite lumière, il devient transparent, mettez-le au soleil, on ne peut plus le regarder, il est comme le soleil, voilà Notre Seigneur, il se lève, il monte, quand il est à son midi l’âme devient transparente dans le véritable amour. Peu à peu, par degrés, Notre Seigneur demeure alors en nous, mais pour pouvoir se donner il faut qu’il se donne selon notre correspondance, par degrés, comme le minerai pour se dégager, se purifier, chaque degré ôte un alliage. Plus on entre profondément en Notre Seigneur, plus on devient saint, (…) la sainteté des élus n’est faite que quand ils sont transparents, que Jésus est dans leur cœur, et qu’ils ne paraissent plus que des apparences. Jésus-Christ est en nous, il ne faut pas le diminuer, il faut le mettre en action »[55].
[1] Benoît XVI, Homélie de la Cène du Seigneur, 20 mars 2008. Dans l’exhortation apostolique, fruit du synode sur l’Eucharistie, le Pape Benoît XVI a écrit : « La première réalité de la foi eucharistique est le mystère même de Dieu, amour trinitaire. Dans le dialogue entre Jésus et Nicodème, nous trouvons une expression lumineuse à ce propos : ‘Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique : ainsi tout homme qui croit en lui ne périra pas, mais il obtiendra la vie éternelle. Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé’ (Jn 3,16-17). Ces paroles montrent la racine première du don de Dieu », SCa 7.
[2] Cf. Saint Pierre-Julien Eymard, Œuvres Complètes, éd. Centro Eucaristico – Nouvelle Cité 2008, PO 30,7.
[3] Alain Mattheeuws, Le « don de soi » ouvre la porte du cœur aux époux, dans NRT 142 (2020), p. 45.
[4] Dans le Nouveau Testament nous avons 377 fois le verbe « donner » (en grec « didomi »).
[5] Saint Pierre-Julien Eymard a écrit : « Dieu a aimé l’homme et lui a donné tout ce qu’il a et ce qu’il est. Le Père a donné son Fils. Le Fils s’est donné lui-même. Le Saint-Esprit est devenu notre sanctificateur habituel », Œuvres Complètes, NR 44,102. Le Pape François a écrit : « Dans le don, il y a le reflet de l’amour de Dieu, qui culmine dans l’incarnation du Fils Jésus et dans l’effusion de l’Esprit Saint », Message pour la journée mondiale du malade 2019.
[6] Jean-Luc Marion (1946 – vivant), philosophe et historien français, a parlé de l’effet cascade : « Le don ne se reçoit que pour être, à nouveau, donné. (…) Le don ne peut se recevoir que s’il se donne, sinon il cesserait de mériter son nom », J.-L. Marion, L’idole et la distance, éd. Grasset et Fasquelle 1977.
[7] « Au désert, nos pères ont mangé la manne ; comme dit l’Écriture : Il leur a donné à manger le pain venu du ciel. Jésus leur répondit : Amen, amen, je vous le dis : ce n’est pas Moïse qui vous a donné le pain venu du ciel ; c’est mon Père qui vous donne le vrai pain venu du ciel. Car le pain de Dieu, c’est celui qui descend du ciel et qui donne la vie au monde », Jn 6,31-33.
[8] Au début de son évangile, dans le prologue, St Jean avait écrit : « Et le Verbe s’est fait chair », Jn 1,14.
[9] Dans les 26 versets de ce chapitre, le verbe « donner » se rencontre au moins 17 fois.
[10] St Pierre-Julien Eymard : « Et voilà la dernière action de Notre Seigneur. Il s’était donné et ne pouvait plus rien faire, il n’était plus à [lui], mais à nous », 9 avril 1868, Œuvres Complètes, PP 56,3.
[11] Etienne Grieu, Pertinence sociale et politique de l’Eucharistie, dans Etudes, novembre 2012 – n. 4175, p. 499.
[12] L’Eglise ne veut pas oublier ce contexte et a repris ce passage de St Paul dans la Prière Eucharistique III.
[13] Nous pouvons mettre en relation le verbe « livrer » avec le verbe « donner », presque comme des synonymes. La perspective du don, qu’on trouve dans « l’exinanivit » de St Paul, est traduite dans la célébration eucharistique par les participes « livré » et « versé », en rapport au corps et au sang, cf. Frédérique Poulet, Célébrer l’Eucharistie après Auschwitz, éd. Cerf, Paris 2015, p. 309.
[14] « ‘Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour que le monde ait la vie’ (Jn 6,51). Par ces paroles, le Seigneur révèle la véritable signification du don de sa propre vie pour tous les hommes, nous montrant aussi la profonde compassion qu’Il a pour toute personne. (…) Toute célébration eucharistique actualise sacramentellement le don que Jésus a fait de sa vie sur la croix pour nous et pour le monde entier. En même temps, dans l’Eucharistie, Jésus fait de nous des témoins de la compassion de Dieu pour chacun de nos frères et sœurs. Autour du mystère eucharistique naît ainsi le service de la charité vis-à-vis du prochain (…) dans les personnes que j’approche, je reconnais des frères et des sœurs pour lesquels le Seigneur a donné sa vie en les aimant ‘jusqu’au bout’ (Jn 13,1) », SCa 88.
[15] Le Fils de Dieu, écrit St Paul, « m’a aimé et s’est livré lui-même pour moi » (Ga 2,20). « Le Christ nous a aimés et s’est livré lui-même pour nous, s’offrant en sacrifice à Dieu, comme un parfum d’agréable odeur » (Eph 5,2).
[16] « Sacrement de l’amour, la sainte Eucharistie est le don que Jésus Christ fait de lui-même, nous révélant l’amour infini de Dieu pour tout homme. Dans cet admirable Sacrement se manifeste l’amour ‘le plus grand’, celui qui pousse ‘à donner sa vie pour ses amis’ (Jn 15,13). En effet, Jésus ‘les aima jusqu’au bout’ (Jn 13,1). Par cette expression, l’Évangéliste introduit le geste d’humilité infinie accompli par Jésus : avant de mourir pour nous sur la croix, se nouant un linge à la ceinture, il lave les pieds de ses disciples. De la même manière, dans le Sacrement de l’Eucharistie, Jésus continue de nous aimer ‘jusqu’au bout’, jusqu’au don de son corps et de son sang », SCa n. 1.
[17] Cf. Etienne Grieu, Pertinence sociale et politique de l’Eucharistie, dans Etudes, novembre 2012 – n. 4175, p. 500-508.
[18] Romano Guardini, Jésus-Christ, éd. Guadarrama, Madrid 1960, p. 123.
[19] St Pierre-Julien Eymard, Œuvres Complètes, PG 279,3.
[20] St Pierre-Julien Eymard, Œuvres Complètes, PO 7,15.
[21] « Ubi donator venit in donum et datum est idem penitus cum datore », Pape Urbain IV, Constitution apostolique « Transiturus » (1264). « L’Église a reçu l’Eucharistie du Christ son Seigneur non comme un don, pour précieux qu’il soit parmi bien d’autres, mais comme le don par excellence, car il est le don de lui-même, de sa personne dans sa sainte humanité, et de son œuvre de salut », EdE n. 11.
[22] Jésus ne regarde pas si les personnes, auxquelles il se donne, sont dignes ou pas, quelle est leur situation morale ou leur capacité intellectuelle et de compréhension. Son acte d’amour est libre, ne s’attend à rien en retour. « Jésus Christ (...) nous communique dans le don eucharistique la vie divine elle-même. Il s’agit d’un don absolument gratuit », SCa n. 8.
[23] Jésus n’a pas donné ses pensées, mais son être, lui-même. Ce que Jésus nous donne, dans le pain et le vin, est son existence concrète.
[24] Dans l’Eucharistie Jésus est pleinement là, avec tout son amour et toute sa vie, pour tous les hommes, tout entier pour chacun et chacune. Il fait le don de lui-même jusqu’au bout, jusqu’à l’abandon.
[25] Dans l’Eucharistie nous avons la vie de Dieu, la vie de la Trinité, qui nous prend totalement et nous fait entrer dans la vie nouvelle au-delà de la mort. « Dans le pain et le vin, sous les apparences desquelles le Christ se donne à nous à l’occasion du repas pascal (cf. Lc 22,14-20 ; 1Co 11,23-26), c’est la vie divine tout entière qui nous rejoint et qui participe à nous sous la forme du Sacrement », SCa n. 8.
[26] Dans l’Eucharistie, Jésus se fait pain pour pénétrer en tous, pour ‘se faire un’ avec tous. Le don de l’Eucharistie est accessible à tous, et tous peuvent apprendre à donner et recevoir, donner et accueillir. L’Eucharistie, qui nous faire devenir « un seul corps » (cf. 1Cor 10,16-17 ; Eph 4,15-16), se présente comme un dynamisme profond d’amour réciproque, de communion intime et profonde, d’unité dans une « harmonie multiforme qui attire », EG n. 117.
[27] « L’homme, créé à l’image de Dieu et pour la communion avec Lui, ne peut pleinement se trouver que par le don désintéressé de lui-même (GS 24). L’épanouissement de sa personne passe par ce don de lui-même qui signifie ouverture à l’autre, accueil et respect de la vie », L’Eucharistie don de Dieu pour la vie du monde, Document théologique de base pour le Congrès eucharistique international de Québec juin 2008. Le don a été un concept central de la pensée de Jean Paul II, cf. Pascal Ide, Une théologie du don. Les occurrences de Gaudium et spes, n. 24 § 3 chez Jean Paul II, dans Anthropotes, 17/1 (2001), p. 149-178. Le Pape François a repris cette idée dans son encyclique Fratelli tutti : « Un être humain est fait de telle façon qu’il ne se réalise, ne se développe ni ne peut atteindre sa plénitude que par le don désintéressé de lui-même. Il ne peut même pas parvenir à reconnaître à fond sa propre vérité si ce n’est dans la rencontre avec les autres », FT 87.
[28] Benoît XVI, L’amour dans la vérité, 34.
[29] Document final de la XVème Assemblée Générale Ordinaire sur Les jeunes, la foi et le discernement des vocations, 2018, n. 76.
[30] Le Pape St Jean-Paul II a écrit : « La liberté s’accomplit dans l’amour, c’est-à-dire dans le don de soi », Veritatis Splendor, n. 87.
[31] Cf. Jean-Paul II, Veritatis Splendor n. 87.
[32] Le don de soi est l’amour au sens plein du terme. Aimer vraiment, c’est se donner. Notre liberté s’accomplit dans l’amour, c’est-à-dire dans le don de soi.
[33] Pape François, Desiderio Desideravi, lettre apostolique, 29 juin 2022.
[34] Cf. Vie reçue, vie donnée. L’offrande eucharistique, Service National de la Pastorale Liturgique et Sacramentelle, Mame, Paris 2019, p. 41.
[35] Ibid. p. 19.
[36] Cf. Emmanuel Falque, Les Noces de l’Agneau, éditions du Cerf, Paris 2011, p. 227.
[37] Cf. Benoît XVI, Deus Caritas est, n. 33.
[38] Cf. Giuseppe Crocetti, Dare la vita per i fratelli, dans Il Cenacolo, agosto-settembre 2022, n. 6, p. 25-26.
[39] Pape François, Homélie dimanche des rameaux, 5 avril 2020.
[40] « ‘Se donner’ signifie laisser agir en soi-même toute la puissance de l’amour qui est Esprit de Dieu et ainsi faire place à sa force créatrice. Et se donner même dans les moments les plus difficiles comme le Jeudi saint de Jésus où il savait comment se tramaient les trahisons et les intrigues mais s’est donné et s’est donné, il s’est donné à nous tout de même avec son projet de salut. En se donnant, l’homme se retrouve lui-même avec une vraie identité de fils de Dieu, semblable au Père et, comme lui, donneur de vie, frère de Jésus, auquel il rend témoignage », Pape François, Homélie de la messe, à Quito (Equateur), 7 juillet 2015.
[41] St Pierre-Julien Eymard, Œuvres Complètes, RA 17,14.
[42] « C’est le mouvement qui passe par le OUI de la croix, c’est-à-dire par une obéissance et une désappropriation totales… il faut participer avec lui à cette histoire de fidélité, d’Amour donné et reçu, en acceptant de communier à son ‘sacrifice’, c’est-à-dire à l’acte par lequel il s’expose librement à la mort en misant tout sur l’appui de son Père… Seul l’Esprit Saint est capable de faire de notre relation au Christ cette relation intérieure, de faire que nous soyons configurés au Christ », Mgr Claude Dagens, Le sacrement du sacrifice, dans Christus n. 242, p. 159.
[43] L’exemple le plus clair, est le geste de Jésus, pendant la dernière Cène, quand il a lavé les pieds à ses disciples (cf. Jn 13,1-15).
[44] L’Eucharistie nous fait entrer dans le dynamisme du mystère pascal dans sa totalité. C’est pour cela qu’il nous est impossible de célébrer en vérité l’Eucharistie sans l’acceptation libre et volontaire de vivre dans le quotidien le contenu de la mort du Christ pour tous les hommes. Quand nous communions, nous communions au mystère de son dépouillement, de son anéantissement, par lequel il est devenu l’un de nous, notre esclave, allant jusqu’à laver les pieds et à donner sa vie sur une croix pour nous (cf. Ph 2,6-9). « La dimension kénotique est constitutive de l’institution de l’Eucharistie », Frédérique Poulet, Célébrer l’Eucharistie après Auschwitz, p. 177.
[45] Mgr Claude Dagens, Le sacrement du sacrifice, dans Christus n. 242, p. 164.
[46] « Le don de soi est celui qui établit la relation interpersonnelle qui ne se génère pas en donnant des ‘choses’, mais en se donnant soi-même. En tout don, s’offre la personne même », Pape François, Homélie de la messe, à Quito (Equateur), 7 juillet 2015.
[47] Jean-Paul II, Discours aux religieuses, Cathédrale de Notre Seigneur à La Paz, 10-5-1988, n. 7.
[48] Pape François, Homélie du Corpus Domini, 26 mai 2016.
[49] Pape François, Discours au chemin de croix avec les jeunes, à l’occasion de la XXXIe Journée Mondiale de la Jeunesse, Pologne, 29 juillet 2016.
[50] St Paul, dans la première lettre aux Corinthiens, a écrit : « J’aurais beau distribuer toute ma fortune aux affamés, j’aurais beau me faire brûler vif, s’il me manque l’amour, cela ne me sert à rien » (1Co 13,3).
[51] « L’amour d’amitié s’appelle ‘charité’ quand on saisit et apprécie la ‘grande valeur’ de l’autre. La beauté – la ‘grande valeur’ de l’autre qui ne coïncide pas avec ses attraits physiques ou psychologiques – nous permet d’expérimenter la sacralité de sa personne, sans l’impérieuse nécessité de la posséder. (...) L’amour de l’autre implique ce goût de contempler et de valoriser le beau et la sacralité de son être personnel, qui existe au-delà de mes nécessités. Cela me permet de chercher son bien quand je sais qu’il ne peut être à moi ou quand il est devenu physiquement laid, agressif ou gênant. Voilà pourquoi c’est parce qu’on aime une personne qu’on lui fait don de quelque chose », Pape François, Amoris Laetitia, n. 127.
[52] « Par le mémorial de son sacrifice, il renforce la communion entre les frères et, en particulier, il pousse ceux qui sont en conflit à hâter leur réconciliation en s’ouvrant au dialogue et à l’engagement pour la justice », SCa 89.
[53] « La liberté est possession inaliénable de soi en même temps qu’ouverture universelle à tout ce qui existe, par la sortie de soi vers la connaissance et l’amour de l’autre. Elle s’enracine donc dans la vérité de l’homme et elle a pour fin la communion », Jean-Paul II, Veritatis Splendor, n. 86.
[54] « Là où se détruit la communion avec Dieu, qui est communion avec le Père, avec le Fils et avec le Saint-Esprit, se détruit aussi la racine et la source de la communion entre nous. Et là où n’est pas vécue la communion entre nous, là non plus la communion avec le Dieu trinitaire n’est ni vivante ni vraie », Benoît XVI, Audience générale, 29 mars 2006.
[55] Saint Pierre-Julien Eymard, Œuvres Complètes, PS 211,6.